Matérialisation du “Cycle des Guerres” par des milliers de mesures

Il est recommandé de lire au préalable la “Modélisation du déclenchement des guerres pour comprendre le cycle des guerres“. Les concepts qui y sont décrits sont utilisés dans cette page.

La guerre civile en Irak a permis d’initialiser cette réflexion, toujours en cours, sur la “Matérialisation”

Revenons sur la 2° guerre du Golfe contre l’Irak en 2003. Les opposants au “Cycle des guerres” y trouveront un cas remarquable contre le “Cycle des Guerres”.  Le déclenchement de cette guerre a lieu sur le pic d’atténuation, exactement comme quelqu’un ( imaginaire) qui aurait voulu démontrer que ce Cycle n’a pas de sens ou aurait voulu  minimiser au maximum les répercussions régionales en évitant l’implication des autres acteurs régionaux.

Que se passe-t-il dans un tel cas remarquable ?

  • En principe, cela démontre que « le cycle des guerres » n’a pas de sens, puisque le déclenchement de la guerre a lieu au moment d’un pic d’atténuation
  • Mais si on prend en compte la Combinaison 3 décrite dans la  Modélisation du déclenchement des guerres pour comprendre le cycle des guerreson devrait avoir une forme de surviolence visible au moment du pic d’amplification qui suit

Vous souvenez-vous ce qui s’est passé après l’intervention US en Irak à partir de mars 2003?

  • D’abord les américains ont gagné cette bataille,
  • puis ils ont occupé l’Irak,
  • Et une guerre civile irakienne accompagnée d’une répression militaire américaine a suivi.

Les précieuses données de Wikileaks

L’armée américaine a fait un travail interne remarquable en répertoriant tous les incidents ainsi que les morts et blessés.

En 2010, suite à la publication des rapports de l’armée américaine par WikiLeaks, le journal « Le Monde » daté du Dimanche 24 –Lundi 25 octobre 2010 a publié un graphique montrant clairement un pic de violences en fin 2006. Avant la publication de ce graphique, il était admis que le pic de violence en Irak était plutôt en 2007, et les chiffres avancés étaient extrêmement variables suivant les sources. L’analyse minutieuse des rapports révélés par Wikileaks a permis de mesurer la violence réelle en Irak de 2004 à 2009. La mesure est celle du nombre de victimes. La source du graphique original publié dans le journal « Le Monde » est « THE BUREAU OF INVESTIGATIVE JOURNALISM » Selon les rapports de l’armée américaine publiés par Wikileaks, il y eut 110.000 morts de 2004 à 2009. Le graphique suivant (dont la forme a été reprise pour le présenter), indique la répartition de ces victimes dans le temps (morts et blessés). C’est la seule mesure fiable de la violence en Irak connue à ce jour durant cette période et qui s’appuie sur des rapports, contrairement à de nombreuses autres estimations qui s’appuyaient sur quelques sondages extrapolés par des méthodes statistiques suivant des hypothèses très différentes d’une source à l’autre.

Données Wikileaks Irak

Cette courbe s’appuie sur 400.000 rapports militaires fournis par Wikileaks et exploités par les media.


2012-2014

Sachant que le pic d’amplification était en mi 2007 et que le suivant est en fin 2015, vous pouvez imaginer à la lecture de ce graphique ce qui est présenté dans le graphique suivant, si vous avez compris  le “Cycle des Guerres”

Le “Cycle des guerres” est-il  matérialisé ?

Quand on regarde ce graphique, on voit une demi-période du phénomène sinusoïdal qui est matérialisée. Plutôt que d’avoir un seul point : le déclenchement de la guerre, nous voyons une matérialisation apparente du pic d’amplification par des milliers de mesures .

Que peut en conclure,  avant 2014, quelqu’un qui connaît le « Cycle des Guerres » ?

Il peut en conclure que le départ des américains en 2011 de l’Irak se fait dans la période la + calme. Si cette matérialisation est bien celle du « Cycle des Guerres », dans la période d’amplification qui va suivre (2014 à 2017) , nous verrons une composante de violences/guerre civile interne à l’Irak reprendre de l’ampleur jusque 2015  et ensuite une nouvelle baisse de ces violences/guerre civile. Les américains sont partis d’Irak en croyant que le travail était fait et fini. S’ils avaient eu connaissance de ce phénomène ils auraient pu aboutir aux mêmes conclusions et anticiper la période qui a suivi.  Tout ce qui s’est passé par la suite l’a confirmé.

 2014 et 2015

Ce que nous voyons en 2014 et 2015 : Depuis 2012 il y a bien une remontée des violences (trait en pointillé), confirmant que le cycle identifié par Wikileaks est bien la matérialisation du “Cycle des Guerres”. Les media ont parlé progressivement de reprise des attentats puis en fin 2013 parlaient de niveau de violence semblable à celui de 2008/2007 et puis cette nouvelle guerre en Irak contre Daech fait exploser tous les compteurs.


2016

 

Ce que nous voyons en 2016 :  Le conflit en Irak perd de son intensité. Le repli de l’Etat Islamique aboutit à une reprise progressive des territoires initialement conquis en 2014. Leur action continuera probablement sous les formes classiques d’attentats mais avec une intensité qui paraît moindre. Il reste à trouver une mesure, ou des estimations fiables, pour compléter ces éléments.  C’est la première fois où le cycle pourrait être matérialisé par des milliers de points de mesures sur une période de plus de 10 ans. La moitié du travail repose sur des centaines de milliers de rapports de l’armée US. Cependant il y a une petite faille : depuis Wikileaks, il n’y a plus aucune donnée disponible par le biais des américains, et les américains préféreront masquer cette réalité plutôt que de contribuer à confirmer cette matérialisation du « Cycle des Guerres ». Si la première partie de la courbe de 2004 à 2009 n’est pas contestable, l’extrapolation de 2014 à 2016 n’est pas démontrée. Si quelqu’un disait : « l’auteur a pris ses désirs pour des réalités », je n’aurai pas d’argument convaincant à lui opposer sans trouver des données le démontrant. Bien vu, mais pas convaincant à ce stade.

Irak : Découverte d’Iraqbodycount.org

En mars 2017, j’ai découvert le site « Iraqbodycount.org ». Ce site fournit des données sur le nombre de morts civils en Irak.  Un groupe d’opposants britanniques et américains à la guerre en Irak de 2003 a documenté et enregistré les morts violentes de 2003 à 2022, afin que tout le monde se souvienne des conséquences de cette guerre.

Le graphique qui suit est une copie du graphique disponible sur le site Iraqbodycount.org (https://www.iraqbodycount.org/database/) en date du 20 janvier 2022 auquel sont ajoutés les pics d’amplification et d’atténuation du « Cycle des Guerres »

En utilisant les données disponibles sur le site « iraqbodycount.org », les données de Wikileaks sont confirmées, mais surtout cela a permis de confirmer la période 2012- 2017 pour laquelle il n’y avait pas de données disponibles auprès de l’armée US. Matérialisation/Visualisation crédible : une coïncidence troublante. Ces données récoltées par les acteurs d’Iraqbodycount.org sont les seules existantes sur une aussi longue période (2 périodes complètes du « Cycle des Guerres ») et qui soient aussi crédibles.

Irak : Que pouvons-nous conclure sur la visualisation/matérialisation du « Cycle des Guerres » ?

Le principe de la matérialisation/visualisation du « Cycle des Guerres » paraît crédible, d’abord avec les données de l’armée US via Wikileaks, puis à partir des données de Iraqbodycount.org.

  • Ce sont des centaines de milliers de rapport qui ont permis de tracer ces courbes,
  • Nous avons 2 sources documentées qui convergent sur la première période (2003-2011), puis une seule sur la période 2011-2022,
  • Que contester dans cette visualisation du « Cycle des Guerres » ? A ce stade c’est un commencement de preuve, dans la mesure où il faudra d’autres cas pour pouvoir convaincre que ce n’est pas une simple coïncidence.
    Nous constatons sur les 2 pics d’amplification successifs des données (Irak) un décalage (6 mois à un an) similaire. Le « gabarit constaté » est donc décalé de quelques mois par rapport au « gabarit théorique ». Ce n’est pas étonnant, compte tenu du fait que le phénomène cyclique n’est pas une sinusoïde parfaite, mais probablement une sinusoïde imparfaite qui se décale un peu à chaque pic, dans un sens ou l’autre. Il faudrait connaître l’origine du phénomène pour pouvoir faire les corrections nécessaires.

En 2014, il y a un brusque pic qui semble correspondre au décalage du pic observé tant dans le déclenchement des guerres que sur le graphique Syrie présenté page suivante.

Syrie : Visualisation d’une période du « Cycle des Guerres »

(Le texte et le tableau qui suivent ont été extraits de Wikipédia, version anglaise)

Les chiffres suivants ont tous été compilés par le SOHR, qui est considéré comme une source faisant autorité en la matière. Les chiffres ne concernent que les décès documentés, alors que le SOHR estime que 100 000 autres décès non documentés ont eu lieu en plus. Dans ces données, il n’y a pas que les civils, mais aussi tous les combattants de chaque bord.

La guerre n’ayant pas été aussi longue qu’en Irak, les données ne recouvrent qu’une seule période du « Cycle des Guerres », mais on y retrouve des données similaires :

  • Les pics d’atténuation correspondent bien aux périodes minimales de morts
  • Il y a un décalage entre le « Pic d’amplification théorique » et le « Pic d’amplification réel » qui est plutôt en 2014. Ce décalage a été constaté pour toutes les guerres qui ont éclaté en 2014. Au cours du premier semestre 2014 vous avez eu une guerre israélo-palestinienne, la guerre en Ukraine, la guerre contre l’Etat islamique.

Que nous apportent ces données Irak & Syrie pour la démonstration du « Cycle des Guerres » ?

Les données disponibles sur la guerre en Syrie sont un peu moins précises, mais elles confirment bien ce qui est constaté sur la guerre en Irak commencée en 2003. C’est très important, puisque si on se basait uniquement sur les dates de déclenchement des guerres, ces deux guerres (Irak et Syrie) ont éclaté à proximité d’un pic d’atténuation. Montrer que les phases d’amplification ont un effet sur le déroulement de la guerre est très difficile par le seul moyen des CONTEXTES. Mais par des courbes basées sur des dizaines ou centaines de milliers de rapport, cela donne ces curieuses coïncidences, comme si le « Cycle des Guerres » avait un effet sur le déroulement de la guerre et ses victimes. Autant dans le cas des seules dates de déclenchement de guerres, on peut imaginer que seuls les dirigeants sont sensibles à ce phénomène, autant avec de telles courbes on aperçoit un effet sur l’ensemble des combattants et forces armées engagées. La matérialisation est cohérente avec la modélisation proposée.

 Il vous est recommandé de relire la partie de la modélisation « Cas 3 : Cas où le cumul des causes est bien supérieur au seuil de déclenchement de guerre, avant même la phase d’amplification »  Ces deux guerres en Irak et en Syrie sont 2 exemples de ce cas. La visualisation/matérialisation du « Cycle des Guerres » aide à mieux comprendre ce « Cas 3 ».

Les données et graphes disponibles sur le projet UCDP confirment la matérialisation

Le graphique “Fatalities in state-based conflicts by Region (1989-2022)“, issu des travaux UCDP (Uppsala Conflict Data Program) et publié en 2023, complète la démonstration ébauchée pour la partie matérialisation. Ce graphique permet de confirmer la démonstration sur 5 phases d’amplification.

Ces données font passer la matérialisation du « Cycle des Guerres » d’hypothèse validée à une quasi-certitude. Il restera des personnes pour n’y voir qu’une simple coïncidence, mais il n’y a pas de preuve plus convaincante, à ce jour, pour démontrer le « Cycle des Guerres ».

UCDP a ses propres définitions, sur la guerre, sur les conflits intra-étatiques, sur les conflits unilatéraux et sur les morts des conflits armés. On ne prend ici que la partie morts des conflits armés (inter ou intra-étatique) « Fatalities in state-based conflicts by Region »

Le graphe publié par UCDP est celui-ci :

Si on y ajoute les pics d’amplification théoriques et les phases d’amplification théoriques du « Cycle des Guerres », cela donne cet autre graphique :

(Les parties colorées en rouge ou bleu ont été ajoutées au graphique UCDP)

Ce qui est frappant est que chaque phase d’amplification contient les pics de morts, comme si il y avait une corrélation directe et systématique entre le « Cycle des Guerres » et le nombre de morts dus aux guerres.

Cela pose beaucoup de questions :

  • Si les pics de 1990 et 1999 sont presque parfaits, les pics de 2015 & 2024 sont décalés. Il est admis que la valeur actuelle de 3085 jours du « Cycle des Guerres » est une valeur approchée, moyenne, qui varie d’un pic à l’autre. Certains cycles peuvent être plus courts et les pics d’amplification peuvent être décalés. Jusqu’à présent, il n’y a pas eu de recalage depuis le T0 de déclenchement de la première guerre mondiale. Il faudra probablement le faire bientôt. Cette recherche attend une reprise globale dans une nouvelle équipe multidisciplinaire pour recalculer cette valeur moyenne et faire les recalages nécessaires
  • Dans la phase d’amplification autour de 2007, le nombre de morts du Moyen-Orient est proche de 0. Ce n’est pas cohérent avec les victimes de la guerre en Irak à partir de 2003, comme confirmés par Wikileaks et Iraqbodycount. Les données, telles que présentées par Wikileaks et Iraqbodycount, posent à l’équipe UCDP un problème méthodologique, dû au fait que la catégorisation des données n’est pas la même que celle d’UCDP. Le résultat est que, faute de méthodologie équivalente à la leur, toutes les données Wikileaks et Iraqbodycount semblent avoir été ignorées. La révision des données par UCDP pourrait renforcer cette phase d’amplification autour du pic d’amplification de 2007 qui paraît, avec la version UCDP 23.1, sous-estimée pour les données du Moyen-Orient.
  • Le pic théorique de décembre 2015 est décalé en 2014. En effet, plusieurs guerres ont démarré à quelques semaines d’intervalle en 2014 (Guerre de Gaza de 2014, guerre en Ukraine, guerre contre l’Etat islamique).
  • La guerre Ukraine-Russie a commencé juste avant la phase d’amplification. Faut-il recaler le pic d’amplification de la période 2002-2006 ?
    Probablement, mais nous ne savons pas déterminer où est le pic réel d’amplification du « Cycle des Guerres » sur la période 2022-2026. Il y a eu la guerre Ukraine-Russie démarrant en février 2022, mais il y a aussi la guerre Hamas-Israël commencée le 7 octobre 2023. En 2026, nous saurons dire où est le pic réel, mais aujourd’hui le pire est peut-être à venir. La violence de ces 2 guerres semble une caractéristique de cette phase d’amplification. On peut légitimement se demander si certaines phases d’amplification ont des caractéristiques qui peuvent aboutir à des guerres plus violentes et qui pourrait expliquer, partiellement, les 2 guerres mondiales que nous avons eu ainsi que les guerres d’une extrême violence de la période 2022-2026.
  • On saurait peut-être identifier le pic de la période 2022-2026, si nous avions des données fiables permettant de connaitre l’évolution, en temps réel ou avec un décalage de quelques mois, des morts dus aux guerres. UCDP pourrait probablement le faire, mais a ses propres contraintes et priorités, qui ne sont pas celles du « Cycle de Guerres ».
  • On peut raisonnablement affirmer que toutes les 5 phases d’amplification couvertes par UCDP depuis 1989 sont significatives, compte tenu des éventuels recalages à venir et de la possible révision à venir d’UCDP sur les données irakiennes.
  • Aucune région n’a systématiquement un nombre important de morts, à chaque phase successive d’amplification. Le phénomène est vrai, pour chaque région, mais à des moments différents. C’est la somme des régions qui est significative, puisqu’il y a toujours une région, voire plusieurs en même temps, pour chaque phase d’amplification.
  • Il va de soi que le constat n’explique rien. Comment peut-on imaginer qu’un phénomène cyclique pourrait avoir une telle influence sur les guerres et le comportement collectif humain ? Nos connaissances actuelles ne nous permettent pas d’y répondre. Ce n’est pas parce que nous sommes incapables de l’expliquer que cela n’existe pas.

Conclusion Matérialisation du “Cycle des Guerres”

Cette relation entre les phases d’amplification du « Cycle des Guerres » et les données UCDP disponibles est l’élément le plus convaincant pour montrer l’existence du « Cycle des Guerres ». Sans le savoir, UCDP pourrait devenir un enjeu, malgré eux, de la crédibilité de l’existence du « Cycle des Guerres ».

La matérialisation, ainsi confirmée, soulève des questions qui ne trouveront de réponses que par de nouvelles recherches. En particulier, il faudra analyser la période de 1900 à 1989 pour voir si cette matérialisation peut être confirmée sur une aussi longue période, et par quelle méthode.

Ce sujet de la “matérialisation” soulève de vives réactions et débats. Certains prétendent n’y voir qu’une simple coïncidence, d’autres avancent des arguments bizarres. Certains prétendent que cela n’a pas de sens tant qu’on ne sait pas l’expliquer, alors qu’il serait plus prudent de confirmer le constat qui est fait tout en sachant que l’explication complète ne sera connue que dans de nombreuses années. Rien de ce que nous connaissons aujourd’hui dans toutes les sciences (humaines, biologiques, neuropsychologies et autres …) ne permet d’expliquer comment un phénomène “non identifié” peut avoir une telle influence sur les humains au point de s’engager dans une guerre et provoquer des morts en plus grand nombre que durant les périodes d’atténuation. Une simple coïncidence ? C’est bien léger comme argumentation pour vouloir ignorer le constat qui est fait.

Chaque dirigeant de notre planète devrait avoir en tête cette réalité avant de s’engager un peu plus dans les guerres des années 2023 et suivantes. Mais l’indifférence sur ce sujet et l’absence de relais officiel n’a pas permis d’informer tous ceux qui pourraient être concernés.

Mis à jour le 10 Novembre  2023

Références :

  • Davies, Shawn, Therese Pettersson & Magnus Öberg (2023). Organized violence 1989-2022 and the return of conflicts between states. Journal of Peace Research (60-4)