Obtenir et superviser un cessez-le-feu qui tienne


Cette page ne prétend pas être un ouvrage savant mais veut juste rappeler quelques vérités pour celui ou celle qui espère obtenir un cessez-le-feu qui tienne. Il existe beaucoup d’études sur le sujet, mais l’objet de cette page n’est pas de faire le tour de ce qu’on sait mais de définir un minimum de méthode qui ait une chance d’aboutir.

Dans la vie des entreprises, il y a généralement autant de chefs d’entreprise diplômés que non diplômés. Le diplôme n’est pas un garant de réussite pour le chef d’entreprise. Pour le cessez-le-feu, c’est la même chose. Vous pouvez savoir beaucoup de choses mais elles pourraient ne vous servir à rien. Par contre, si vous avez une détermination sans faille et un peu de méthode, vous y arriverez peut-être, sans que qui que ce soit ne puisse vous garantir avec certitude que vous y arriverez.

Introduction

Les cessez-le-feu peuvent être unilatéraux, bilatéraux, accompagnés ou non de mesures concrètes. Leur application et leur respect dépendent de multiples facteurs.

Au-delà des négociations qui supposent qu’il y ait un cadre acceptable à un début de règlement, même s’il demeure flou, le principal facteur à prendre en compte est le temps de transmission de l’ordre de cessez-le-feu sur le terrain, ainsi que sa transmission effective à tous les niveaux. Si un cessez-le-feu est annoncé avec application immédiate, le plus généralement il ne sera jamais appliqué, sauf si c’est un cessez-le-feu unilatéral d’une composante militaire partie au conflit, et si cette composante est assez patiente pour admettre des bavures pendant quelque temps. Si un cessez-le-feu n’est transmis qu’à quelques combattants ou sans des ordres précis de retenue pendant les premières heures du cessez-le-feu il n’aboutira pas à un cessez-le-feu complet.

 Il y a donc un décalage nécessaire entre l’annonce du cessez-le-feu et l’heure d’application effective. Ce décalage est d’autant plus grand que des composantes au conflit sont décomposées, multiples, non structurées, sans hiérarchie cohérente et unique. Un décalage de 12 heures peut être nécessaire. Au-delà, c’est qu’il y a d’autres problèmes.

Documents préalables ? Ce n’est pas le fait de signer solennellement un document de cessez-le-feu qui le fait mieux respecter.

Ce n’est généralement pas le document préalable au cessez-le-feu qui le fait tenir, mais le dispositif qui l’accompagne.

Quand il s’agit de deux Etats militairement structurés, une simple négociation au plus haut niveau peut suffire, même sans dispositif de contrôle de cessez-le-feu, à condition toutefois que l’ordre soit correctement retransmis dans la hiérarchie militaire et qu’il soit convenu que pendant un certain temps, il n’y ait pas de réponse aux bavures.

Quand il y a d’un côté un ensemble de groupements plus ou moins contrôlés sans véritable hiérarchie ou aux moyens de communication mal définis, un dispositif de supervision et contrôle est nécessaire. Il existe des dispositifs relativement simples qui peuvent être mis en place. Ces dispositifs permettent de pallier l’absence ou l’insuffisance de la hiérarchie.

Ce qui est très important est de savoir reconnaître si ce sont deux hiérarchies militaires contrôlées de part et d’autre ou un ensemble d’acteurs combattants dont on ne voit nulle part un chef auquel ils pourraient obéir, ne serait-ce que pour faire appliquer un cessez-le-feu. On peut y arriver dans les 2 cas, mais on ne va pas s’y prendre de la même façon.

En bref, pour résumer, un cessez-le-feu peut être unilatéral, bilatéral, avec ou sans système d’observation, de contrôle et de supervision. Il peut avoir donné lieu à un document formel ou n’avoir aucun document.
Il peut donc y avoir des cessez-le-feu complètement différents qui tiennent, bien qu’ils soient différents. Ne croyez pas que si vous avez compris pourquoi un cessez-le-feu a tenu, il suffira de refaire la même chose, les paramètres à prendre en compte peuvent faire en sorte qu’un cessez-le-feu qui a marché dans un certain contexte ne marchera pas dans un autre.

Il y a des organismes officiels qui ne sont capables de gérer qu’un seul type de cessez-le-feu. Leur organisation et leur déroulé est toujours le même. Mais leur comportement “psycho-rigide” est souvent inadapté et malheureusement les cessez-le-feu qu’ils espèrent mettre en place sont souvent tous différents de celui pour lequel ils se sont préparés. Il n’y a donc pas de cessez-le-feu qui tienne et ils continuent à recommander et mettre en œuvre un système inadapté à la réalité. Cela peut durer 6 ans sans que cela ne les dérange. Et quand le cessez-le-feu voit enfin le jour, presque par hasard, ils racontent fièrement que grâce à leur méthode il y a enfin un cessez-le-feu qui tient (ne riez pas, ils ont pignon sur rue)

Pour avoir une petite chance il faut passer par quelques étapes:

  • obtenir un cessez-le-feu
  • Préparer le cessez-le-feu
  • Mettre en place le cessez-le-feu
  • Définir un organisme de suivi et de contrôle du cessez-le-feu (si nécessaire)
  • Suivre le cessez-le-feu et lancer les actions correctives nécessaires en cas de violations
  • Adapter et faire évoluer le système

Nous allons donc développer brièvement ces quelques étapes.

Obtenir un cessez-le-feu

La première qualité pour obtenir un cessez-le-feu est de la détermination. Cela ne suffit pas, mais si vous n’en avez pas, il ne se passera rien. Il est préférable d’avoir une idée du règlement à venir. Plus la proposition de règlement est acceptée par les deux parties, plus il y a de chance que le cessez-le-feu ait un sens.

Il y a des techniques extrêmement simples. IL y en a une que j’appelle la méthode Boumediène. Un jour l’Egypte d’Anouar Sadate déclencha une guerre contre la Lybie. Le président d’Algérie fit le voyage au Caire et resta avec Sadate jusqu’à l’obtention d’un cessez-le-feu. Il n’y eut ni négociation ultérieure ni dispositif de contrôle du cessez-le-feu: la guerre était finie. Simple, mais il faut avoir la détermination d’obtenir des interlocuteurs un cessez-le-feu et avoir le culot d’imposer sa présence jusqu’à obtenir la fin complète des hostilités.

Dans tous les cas, la négociation doit se faire directement avec les dirigeants.

A ce stade et avant d’obtenir le cessez-le-feu il faut savoir si un système de supervision et de contrôle du cessez-le-feu est nécessaire.

  • si sur le terrain, les forces sont déjà imbriquées, oui il faut un système de supervision et de contrôle du cessez-le-feu capable de se déployer sur le terrain
  • si l’une des composantes est déstructurée ou composée d’une multitude de groupements sans commandement unifié et respecté par tous les groupements, il faudra aussi un système de supervision et de contrôle
  • si ce sont deux armées bien structurées et disciplinées, on peut envisager de se passer de système de supervision et de contrôle, au moins dans un premier temps, si l’ordre de cessez-le-feu est réellement retransmis de part et d’autre des armées en conflit et si un premier désengagement ou ligne de cessez-le-feu sont définis

Préparer le cessez-le-feu

Entre l’obtention du cessez-le-feu et le début du cessez-le-feu il y a quelques heures ( entre 6 et 24 h). Ces heures doivent être suffisantes pour faire transmettre l’ordre de cessez-le-feu à tous les niveaux des hiérarchies militaires. Annoncer un cessez-le-feu plusieurs jours avant est inutile. C’est signe d’autres problèmes à commencer par l’absence de prise sur les parties combattantes ainsi que le manque de réelle volonté de mettre en place un cessez-le-feu

En général, c’est ce premier point qui pose problème. Les dirigeants ont accepté un cessez-le-feu mais n’ont pas transmis cet ordre à tous les niveaux, ou l’ordre n’est pas accepté et ne descend pas à tous les niveaux.

L’idéal serait que dès cette phase de préparation il y ait quelques conseillers spéciaux au niveau des 2 états-majors qui s’assurent de la bonne retransmission de l’ordre de cessez-le-feu ainsi que de l’annulation des opérations militaires prévues pour les heures qui suivent l’entrée en vigueur du cessez-le-feu.

Il faut aussi indiquer à chaque camp qu’il y aura des bavures et que même en cas de bavures il ne faudra pas relancer des opérations militaires, en espérant qu’ainsi le cessez-le-feu va entrer en vigueur progressivement.

Il faut prévoir que le cessez-le-feu peut mettre quelques jours à se mettre en place et prévoir un dispositif minimum pour gérer les violations.

Ce dispositif minimum peut être deux équipes de pays tiers qui sont avec les responsables militaires de chaque camp dès le début du cessez-le-feu et qui vont gérer toutes les violations. A chaque violation rapportée par chaque camp, il faut prendre contact avec l’équipe en face et obtenir de faire rectifier ou réacheminer l’ordre de cessez-le-feu là où il semble n’avoir pas été respecté.

Au moment du début du cessez-le-feu il n’y aura généralement pas encore de déploiement d’observateurs et contrôleurs du cessez-le-feu, il faudra donc lancer et relancer les deux hiérarchies militaires qui vont prétexter les bavures de l’autre camp pour relancer des opérations militaires

Mettre en place le cessez-le-feu

Cela commence dans les heures qui précèdent pour s’assurer que l’ordre de cessez-le-feu est bien retransmis de part et d’autre et cela continue après l’heure effective du cessez-le-feu avec la gestion des violations. Il sera exceptionnel qu’il n’y en ait aucune. C’est pour cela qu’il doit y avoir un dispositif minimum en contact permanent avec les 2 hiérarchies militaires et s’il le faut un suivi direct avec les dirigeants.

Chaque camp prétextera les bavures et violations de l’autre camp pour relancer les opérations militaires. Chaque camp ne reconnaitra pas ses bavures sans que le dispositif minimal fasse des vérifications au niveau des hiérarchies militaires.

La possibilité d’avoir un dispositif de renseignements fiable à ce stade est utile pour pouvoir faire valoir objectivement à chaque camp ses bavures.

Quand un camp fait valoir des violations de l’autre camp, l’équipe sur place s’empresse de demander des détails puis de transmettre à l’autre équipe pour pouvoir s’assurer que l’ordre de cessez-le-feu est bien parvenu et le faire retransmettre à nouveau s’il y a eu un raté.

A ce stade, 2 équipes d’une dizaine de personnes peuvent aider à instaurer le cessez-le-feu en évitant que les premières violations ne relancent la machine de guerre de part et d’autre.

Définir un organisme de suivi et de contrôle du cessez-le-feu (si nécessaire)

L’organisme de suivi et de contrôle du cessez-le-feu doit être capable de:

  • A – être informé de toutes les violations
  • B – faire un rapport périodique sur l’état de la situation
  • C – faire un debriefing régulier
  • D – lancer des actions pour mettre fin aux violations
  • E – faire évoluer les règles en vigueur et le système de suivi et de contrôle
  • F – faire évoluer les systèmes militaires de chaque camp pour consolider le cessez-le-feu et préparer l’avenir

Il faut trouver un bon compromis entre l’observation des violations et les actions correctives. Il y a des systèmes qui passent leur temps à observer sans jamais agir (exemple : le SMM de l’OSCE en Ukraine). Ils sont passifs. Il faut qu’ils deviennent actifs. Ils ne marchent que si ils sont compensés par un autre système. Le cessez-le-feu en Ukraine du 27 Juillet 2020 a délégué la tâche de contrôle du cessez-le-feu au JCCC qui est un organisme commun aux composantes militaires de chaque camp. Ceci a permis de rendre le système actif et plus efficace. Mais pour d’autres raisons, ce sera l’impasse plus tard.

L’organisme de suivi et de contrôle n’est pas le même quand il y a 2 hiérarchies militaires qui maitrisent complètement leurs troupes ou une série de combattants plus ou moins structurés et plus ou moins disciplinés. Dans le premier cas, l’organisme de suivi et de contrôle peut être très léger et se contenter de debriefings réguliers sans forces de paix ou système d’observation dédié. Dans le second cas, il faut mailler l’ensemble du terrain et des zones de contact en les organisant en secteurs et sous-secteurs avec une coordination autonome.

Il faut comprendre qu’une information de violation qui n’est pas utilisée dans les minutes et l’heure qui suivent pour corriger la source de la violation ne sert pas à grand chose.

Le système de suivi et de contrôle ne marche que s’il a dans chaque camp combattant des relais permanents. Le système de suivi et de contrôle ne peut pas s’imposer par la force mais par la persuasion et les relais dans chaque camp.
L’avantage d’avoir d’anciens militaires dans le système de suivi et de contrôle est qu’ils n’hésitent pas à prendre contact avec les combattants ou travailler avec des officiers de liaison de chaque camp. Un système de supervision fait presque uniquement avec des civils (comme c’est le cas avec le SMM de l’OSCE) se contente d’observer et par peur de ce qu’ils ne connaissent pas n’ont aucune influence sur les parties combattantes, simplement parce qu’ils n’ont pas de contact avec des combattants et même les refusent presque systématiquement: ils s’enferment dans un système passif qui ne peut pas aboutir à être efficace sans s’appuyer sur un autre système qui vient en complément du leur.

Si on prend l’exemple de l’Ukraine, le SMM ne fait correctement que les points A et B, le JCCC fait C et D et le TCG entend faire E et F. C’est un système non intégré à 3 têtes qui ne se coordonnent pas vraiment et tirent chacun la couverture à soi pour se faire valoir sans trop se soucier d’une vision collective.

Avec beaucoup d’aplomb, le SMM de l’OSCE, en faisant A et B, prétend tout faire. Idem pour le JCCC en faisant C et D. Idem pour le TCG en faisant E et F.

Si cela a commencé à marcher en Juillet 2020 en déléguant des taches non réalisées ( et refusées par dogmatisme mal placé ) par le SMM au JCCC, le système est non intégré et sera incapable, sous sa forme actuelle, de faire évoluer la situation sécuritaire de façon satisfaisante, sans remettre à plat tous les intervenants et leur rôle.

Suivre le cessez-le-feu et lancer les actions correctives nécessaires en cas de violations

Il paraît aller de soi qu’en fonction des violations il faut lancer les actions correctives nécessaires. L’adaptation du système doit se faire en temps réel. Il peut y avoir des adaptations structurelles mais un système ne fonctionnera jamais s’il faut attendre plusieurs semaines pour que des actions correctives soient prises.

Là encore on revient au mauvais exemple de l’Ukraine. Pendant 6 ans, il y avait d’un côté le système d’observation de l’OSCE SMM qui observait et faisait des rapports et de l’autre des actions correctives lancées par le TCG qui se réunit de temps en temps, plutôt une fois par mois que tous les jours.

Cela n’a pas marché jusqu’à ce qu’ils changent à la fois le comportement des forces combattantes et leur manière de lancer quelques actions correctives.

Ont-ils compris ? Visiblement non. Aux dernières nouvelles, les acteurs (dont l’osce) demandent la mise en place de plus de 1.000 observateurs SMM. Ce ne sont pas des observateurs qu’il faut ajouter mais des patrouilles d’inspection qui soient actives. Quand une patrouille d’observateurs SMM passe devant un armement interdit, la patrouille note, le transmet à sa hiérarchie qui fait un beau rapport 24 à 72 h plus tard. A ce moment-là, même si c’est communiqué aux hiérarchies combattantes, elles sont incapables d’en faire quoi que ce soit et de faire évacuer l’armement qui est probablement déjà parti et installé ailleurs. Une patrouille d’inspection, quand elle voit un armement interdit, doit signaler aux servants de l’armement qu’ils doivent évacuer leur armement dans les lieux prévus et se faire aider par des officiers de liaison pour les faire évacuer. La patrouille d’inspection ne doit rien lâcher et rester sur place jusqu’à ce que l’armement soit évacué et soit déménagé dans un lieu vérifiable. Une patrouille d’observateurs SMM ne lance jamais la moindre action corrective suite à ses observations, les patrouilles d’inspection sont faites pour exploiter immédiatement les observations faites en se faisant aider par des officiers de liaison de chaque camp qui peuvent être intégrés dans les patrouilles d’inspection pour gagner en efficacité et ne pas attendre des heures et des heures qu’un représentant JCCC arrive et s’occupe de faire évacuer l’armement (ce qu’ils ne font généralement jamais)

Aujourd’hui en Ukraine, il y a 0 patrouille d’inspection. Il en faudrait au minimum 200 à 300. Les acteurs locaux n’ont apparemment pas compris, ni pourquoi le cessez-le-feu ne tenait pas avant juillet 2020, ni pourquoi le cessez-le-feu de Juillet 2020 tient à peu près.

A l’opposé de l’Ukraine, vous pouvez regarder les cessez-le-feu entre Israël et les palestiniens de la bande de Gaza. Il n’y a officiellement aucun observateur ni système de suivi et de contrôle. Il en faudrait un, même simple, pour rendre leur cessez-le-feu moins fragile, mais la quasi absence de système institutionnalisé de supervision et de contrôle n’a qu’un effet limité.

le 12 Novembre 2020